L’idée de former tous les professionnels de santé dans un contexte universitaire a été expérimentée outre-Atlantique depuis longtemps : la « School of nursing » de l’Université de Yale a été créée en 1923, la première école d’ergothérapie de l’Université de Toronto a ouvert en 1926… Dans certains pays européens, ces formations sont complètement organisées par les universités, comme par exemple à l’université de Liège en Belgique qui propose les cursus de bachelier en kinésithérapie et réadaptation, de master en kinésithérapie et réadaptation.

Quels sont les enjeux de ce processus en cours en France d’« universitarisation » de la kinésithérapie ? « Tout d’abord il faut évoluer au niveau du terme et préférer « intégration universitaire » à « universitarisation », précise Nicolas Pinsault, vice-président du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, professeur des universités à l’Université Grenoble Alpes.

Des objectifs de qualité, d’homogénéité et de reconnaissance

Initialement, les 25 formations aux métiers de santé sont organisées dans des lycées, des écoles, des instituts, à l’université, sans lien réel entre elles et avec très peu d’accès à une activité de recherche. Les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur résumaient ainsi, en 2018, les objectifs de l’intégration universitaire de ces formations : « Les professionnels de santé doivent acquérir les compétences nécessaires à l’exercice interprofessionnel, en modifiant en profondeur une organisation aujourd’hui en silos. Tous doivent avoir une formation par et à la recherche pour favoriser la prise en compte des données probantes dans l’exercice de leur métier et leur permettre de participer à la production de savoir. Enfin, les étudiants en santé doivent avoir un accès à toutes les dimensions de la vie étudiante et exercer pleinement leurs droits ».

Du point de vue du professeur des universités, donner à la formation des kinésithérapeutes un format conforme à ceux de l’université (licence-master-doctorat) permet avant tout une reconnaissance nationale et internationale du niveau des étudiants français. « Un grand pas a été franchi en 2021 lorsque le grade de master a été associé au diplôme d’État de kinésithérapeute, souligne Nicolas Pinsault. Nos diplômés font partie des kinésithérapeutes qui ont le plus haut niveau d’études en Europe ».

L’intégration universitaire doit aussi permettre de reconnaître l’étudiant en kinésithérapie « comme un étudiant plein et entier ». Jusqu’ici, les formations sanitaires sont sous la responsabilité des régions, les élèves ont un statut d’étudiants mais n’ont pas souvent accès au Crous, au logement ou aux bourses étudiantes. « L’équivalence des droits universitaires est un objectif, avec pour le moment des situations hétérogènes selon que les instituts de formation (IFMK) sont publics, privés ou associatifs et surtout selon les conventions qu’ils signent avec les universités », précise Nicolas Pinsault. De grandes disparités existent également au niveau des frais de scolarité à la charge des étudiants, qui varient de 243 euros l’année au niveau master en IFMK public (droits d’inscription universitaires 2023-2024) à plus de 9000 euros l’année dans les IFMK privés. « A titre personnel, j’aimerais que les études en kinésithérapie soient à coût universitaire partout en France, pour tous les étudiants », plaide le professeur. C’est également la position constante du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Enfin, l’intégration des formateurs eux-mêmes à l’université est également un enjeu, avec la création en 2019 d’un nouveau corps d’enseignants-chercheurs en sciences de la rééducation et de la réadaptation. Étape supplémentaire, plusieurs IFMK sont d’ores et déjà intégrés à l’université ou en passe de l’être, sur des modèles différents :  à Orléans, Marseille, Grenoble, Besançon, Montbéliard, Lyon, Fontainebleau…

« Le diplôme d’État est pour le moment délivré par le ministère de la Santé, il serait logique qu’il soit un jour, et espérons-le rapidement, délivré par l’université », estime Nicolas Pinsault.

Des freins persistants

Les 5 priorités définis en 2018 par les pouvoirs publics sont en cours de réalisation : la simplification des modalités d’admission dans les formations ; la possibilité de recruter des enseignants-chercheurs en maïeutique, soins infirmiers, et réadaptation ; l’établissement d’un cadre national simplifiant les relations institutionnelles et financières entre régions, instituts de formation et universités ; la mise en œuvre de formations aux nouveaux métiers en débutant par les pratiques avancées infirmières ; et une réflexion sur les référentiels incluant des temps de formation communs à plusieurs filières.

« Ce processus avance, c’est le sens de l’histoire, mais de façon non homogène », commente Nicolas Pinsault. Sur le terrain, les réalités sont diverses selon les régions, les politiques universitaires, les statuts des instituts (publics, associatifs, privés), et des freins persistent.

Parmi ces freins, le professeur évoque des réticences du côté de l’université qui « n’est pas très consultée ni préparée au fait de nous accueillir », et de certains IFMK qui « craignent une perte de leur identité professionnelle en allant à l’université ».

Le faible nombre d’enseignants-chercheurs dans la discipline (« entre 0 et 10 postes sont créés par an, c’est trop peu ») et l’interdiction pour eux de conjuguer une activité de clinique avec leur mission d’enseignement et de recherche (« ce qui rend la fonction moins attractive »), n’aident pas au développement de l’enseignement en kinésithérapie au sein de l’université.

Par ailleurs, les régions qui ont depuis 2004 la responsabilité des formations paramédicales, « ont tendance à utiliser les IFMK comme outil d’aménagement du territoire, attirant des jeunes dans des zones loin de l’université », glisse Nicolas Pinsault.

L’Ordre s’implique

Dès sa création, le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes a œuvré au rapprochement des études de kinésithérapie avec l’université. Une position que résume Nicolas Pinsault en sa qualité de vice-président de l’institution : « L’Ordre est favorable au développement d’une formation universitaire de haut niveau scientifique, accessible à frais universitaires partout en France. Cette formation doit être le gage du niveau des kinésithérapeutes et de leur pratique, donc de la qualité des soins prodigués aux patients. Le développement d’un corps d’enseignants-chercheurs en est un corollaire ».

Les dates et les textes clés de l’intégration universitaire de la kinésithérapie

2004 ➔ Loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux collectivités locales transférant aux régions la responsabilité des formations paramédicales et sociales.

2013 ➔ Rapport IGAS-IGAENR sur « Les formations paramédicales : bilan et poursuite du processus d’intégration dans le dispositif licence-master-doctorat (LMD) ».

2015 ➔ Arrêté du 2 septembre 2015 réformant les études en kinésithérapie. La formation de 4 années est désormais précédée d’une première année universitaire (PCEM1 devenu PACES puis PASS/LAS ou STAPS ou sciences). « Auparavant profession de techniciens, la kinésithérapie évolue vers une profession d’ingénieurs », commente Nicolas Pinsault.

2016 ➔ Grande conférence de santé.

2017 ➔ Rapport IGAS-IGAENR « Pour une meilleure intégration des formations paramédicales à l’université ».

2018 ➔ Rapport de Stéphane Le Bouler sur l’« Universitarisation des formations paramédicales et de maïeutique » et installation du Comité de suivi du processus d’universitarisation des formations paramédicales et de maïeutique. Parmi les objectifs poursuivis : le rapprochement des maquettes de formation avec les maquettes universitaires, la création de diplômes universitaires et de corps d’enseignants chercheurs.

2019 ➔ Décret du 30 octobre 2019 créant la section du Conseil national des universités CNU 91 « sciences de la rééducation et de la réadaptation ».

2021 ➔  Décret du 13 août 2021 conférant le grade de master aux étudiants en masso-kinésithérapie depuis juin 2021.

2021 ➔ Arrêté du 9 septembre 2021 portant autorisation d’expérimentations relatives aux modalités permettant le renforcement des échanges entre les formations de santé, la mise en place d’enseignements communs et l’accès à la formation par la recherche.

2024 ➔ Rapport IGAS-IGESR « Ressources humaines et statuts des encadrants et enseignants-chercheurs dans les formations paramédicales universitarisées ».

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