Le Conseil national de l‘ordre des masseurs-kinésithérapeutes est très investi dans la lutte contre les violences sexistes ou sexuelles. Quelles actions avez-vous menées récemment ?

Jean-François DUMAS, secrétaire général du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes : Parmi les missions confiées à un Ordre professionnel de santé figure celle, primordiale, de veiller au respect de la déontologie par l’ensemble de ses membres. L’immense majorité des 103 000 kinésithérapeutes qui exercent en France sont irréprochables et réalisent un travail remarquable avec leurs patients. Malheureusement, il existe aussi des faits avérés de violences sexistes ou sexuelles commis par certains d’entre eux.

Nous devons absolument lutter contre ces agissements et les sanctionner avec la plus grande sévérité quand ils se produisent. À cet effet, l’Ordre dispose de chambres disciplinaires, présidées par des magistrats professionnels chargés d‘examiner et de juger les faits. Les sanctions peuvent être très lourdes, jusqu’à l’interdiction d’exercer ou la radiation.

En 2022, nous avons mené une importante campagne de communication* dont l’objectif est double : lutter contre les violences sexistes et sexuelles en communiquant sur les bonnes pratiques, et rassurer les patientes victimes quant au fait que nous ne laisserons pas ces actes impunis.

Le kit de la campagne comprend : le guide « Pour une relation thérapeutique saine et sécurisée », le déontomètre de la confiance thérapeutique (élaboré sur le modèle du « violentomètre » de la Ville de Paris), et un questionnaire d’évaluation de la relation thérapeutique. Ces outils s’adressent à la fois aux kinésithérapeutes et au public. Ils décrivent les conditions d’une relation thérapeutique saine et sécurisée : ils rappellent par exemple que le consentement du patient doit être demandé avant tout geste ; ils donnent des conseils pour lever une ambiguïté ou identifier un geste potentiellement déplacé.

Le cabinet du kinésithérapeute est un sanctuaire : les patients doivent s’y sentir respectés et protégés. La relation thérapeutique nouée entre le praticien et le patient doit être fondée sur le respect de la dignité et de la pudeur de la personne.

Les kinésithérapeutes sont-ils plus concernés que d’autres professionnels de santé ?

Non, pas forcément, mais l’exercice de la kinésithérapie est associé à certaines particularités : le temps de consultation est relativement long, les séances sont répétées parfois sur une très longue durée, le déshabillage des patients peut être nécessaire. Par ailleurs, comme dans tout type de consultation, il peut exister une sorte d’ascendant du praticien sur le patient car il est « celui qui sait » et qui fait figure d’autorité. Certains profitent de cette situation pour commettre des actes répréhensibles. Je le répète, il s’agit d’une très faible minorité de kinésithérapeutes. La position de l’Ordre est claire à ce sujet : nous condamnons avec la plus grande sévérité ce type de comportement. Nous ne laisserons aucune affaire au fond d’un tiroir, et nous défendrons toujours le strict respect de notre déontologie.

Parmi les actes pratiqués par les kinésithérapeutes, certains concernent particulièrement l’intimité du patient. Comment encadrer ce type de geste ?

En effet, il existe un certain nombre de gestes qui touchent à l’intime, comme les touchers vaginaux ou pelviens pratiqués dans le cadre d’une rééducation périnéale, après un accouchement ou un traitement contre le cancer de la prostate par exemple, et de façon générale, en prévention ou en traitement de l’incontinence urinaire. À ce sujet, nous avons diffusé un avis** rappelant les conditions de réalisation de ces actes et le strict contexte thérapeutique dans lesquels ils doivent être pratiqués. Bien entendu, là encore, des explications claires doivent être fournies au patient, et son consentement doit être obtenu avant tout geste.

Les étudiants en kinésithérapie sont-ils également concernés par des situations de violence sexiste ou sexuelle ?

Malheureusement, oui, ce type de violence existe aussi en milieu étudiant. Là encore, nous condamnons ces comportements avec la plus grande fermeté. Il faut prendre le problème à bras le corps. Il est essentiel de prendre conscience de ces violences, de communiquer largement et de soutenir les victimes. Des étudiants ont d’ailleurs diffusé en cette rentrée 2023 une vidéo très pédagogique à ce sujet***. Il y est notamment rappelé, par exemple, que l’étudiant a le droit de refuser de jouer le rôle d’un patient si cela le met mal à l’aise.

Dans les faits, si des étudiants étaient agressés par leur formateur, par leur tuteur de stage, ou par d’autres étudiants, en tant qu’instance disciplinaire, l’Ordre peut agir si l’agresseur est un kinésithérapeute inscrit au tableau. Mais si les violences se sont produites entre étudiants, il faut encourager les victimes à s’exprimer, à trouver de l’aide et à porter plainte auprès de la police ou de la gendarmerie.

Nous menons des travaux à ce sujet avec la Fédération Nationale des Étudiants en Kinésithérapie (FNEK) et avec le syndicat national des instituts de formation en masso-kinésithérapie (SNIFMK).

En pratique, comment un étudiant doit-il procéder s’il est victime d’une violence sexiste ou sexuelle dans son école ou sur son lieu de stage ?

Il est essentiel de ne pas rester seul, d’en parler à un proche et d’être accompagné pour mettre des mots sur les violences subies. Certaines victimes n’osent pas s’exprimer : elles doutent, ou bien craignent de porter préjudice à leur établissement. Ne restons pas dans le déni et ne laissons pas ces situations sans réponse.

Les syndicats étudiants sont très engagés et constituent une aide précieuse. Plusieurs initiatives ont vu le jour dans des instituts de formation, pour expliquer ce qu’est une violence sexiste ou sexuelle, et mettre en œuvre des dispositifs de prévention (comme des couvercles à poser sur les verres lors d’une soirée). Dans le guide* que nous avons édité figure une liste d’associations et de ressources qui sont d’une grande aide dans ces situations.

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